Mais je sentis au coeur comme un coup de poignard,
Et mon sang afflua, brusquement, sous mes tempes ;
Un immense desir me mordit, et, tremblant,
Le gosier sec, les poings crispes, les yeux en flamme,
Je pensais : " Oh ! l'avoir, une nuit, pantelant
Entre mes bras roidis, le corps de cette femme !
Posseder cette fille! A ses seins indomptes,
Convulsifs, longuement poser ma levre ardente !
Oh ! boire en une nuit toutes les voluptes
Des amoureux damnes de ta spirale, o Dante ! "
Et l'espoir me grisait! et de mes regards fous
Je couvrais cette proie, au clair des candelabres
D'une loge de foire ou,_pour deux ou trois sous,
Un Sauvage avalait, en souriant, des sabres !
Cette fille battait gravement du tambour.
Basanee ainsi qu'une ecorce de grenade,
Sa face offrait les traits des races d'Edimbourg,
De Paris, de Lahor, de Prague et de Grenade;
Vingt sangs etaient meles dans ses veines, aussi
C'etait un type unique, une femme ideale :
Tzygane ou gitana, bayadere ou gipsy,
Elle me tordait l'ame, empourprant mon front pale.
Sous ses minces sourcils, arques avec mepris,
Son oeil osirien flamboyait, dur, sauvage;
Et, sur le bon public, ainsi qu'un aigle pris,
Parfois elle jetait un regard plein de rage,
Et souvent, o douleur! sa dent blanche plongeait
Dans sa levre charnue et sortait toute rouge !
Cette boheme avait, alors qu'elle bougeait,
Des mouvements de reine et des tressauts de gouge !
Son torse sculptural, hardi, nerveux, sortait,
Bien cambre, du jupon, voluptueuse base,
Et sa jambe de biche, au bas rose, invitait
L'oeil lascif а percer son calecon de gaze.
Les paillons eclataient ainsi que des soleils
Sur ses habits ; son front portait trois diademes
D'argent faux, ou pendaient, а des astres pareils,
Des cabochons de strass meles de fausses gemmes.
Aussi noirs que la Nuit, et parfumes comme elle,
Ses cheveux lourds, nattes, et jusqu'aux reins pendants,
Lui donnaient l'air mechant qu'ont dans la Tour de Nesle
Marguerite** et ses soeurs pres de leurs Buridans!
Faisant saillir sa croupe, elle battait toujours
Sur la peau d'ane pour les soldats et les bonnes,
Et, corps de granit froid, aux sens muets et sourds,
Stoique, elle restait entre quatre trombones !
Et j'en avais pitie ! la sueur me coulait
Sur la joue en voyant cette misere infame,
Et je sentis, vaincu, qu'une larme roulait
Sous ma paupiere, -- perle, helas ! pour cette femme !
Car cette saltimbanque, apres le gaz eteint,
Quand le Sauvage dort, le bras sur sa cassette,
Et reve а son pays natal -- nomme Pantin,
S'en va probablement en nocturne recette!
Справка.
*Альберт Глатиньи (1839-1873) - поэт, драматург, последователь Теодора де Банвилля. Вёл полубродяжий образ жизни странствующего актера. О нём прекрасно рассказал в отдельном биографическом очерке Анатоль Франс. Его талант получил высокую оценку после смерти поэта.
**Маргарита - королева Маргарита Бургундская (1290-1315), жена французского короля Людовика X Сварливого (1289-1316). Вымышленная история её жизни легла в основу романтической драмы, написанной начинающим драматургом Гайарде, над текстом поработал Жюль Жанен и окончательно довёл его до пригодного к постановке состояния Александр Дюма. Пьеса эта - "Нельская башня" - имела в 1832 г. блестящий сценический успех и ставится до сих пор (в том числе в России). Героиня пьесы и две её золовки Бланш де ла Марш и Жанна де Пуатье заманивают молодых людей, предаются с ними любовным утехам, а после тайной ночи любви предают смерти. Один из этих любовников по имени Буридан, случайно спасшись от смерти, затем шантажирует королеву Маргариту и т.д.