Les carreaux. -- Tout a coup un Monsieur vint asseoir
Devant le piano sa silhouette frele.
Menacant, il joncha l'instrument taciturne
De ses gants flasques ; tel, aux broussailles des bois,
Un boa jeune, ouvrant une chasse nocturne,
Laisse ses vieilles peaux. Nous restames sans voix!
Ainsi, quand le serpent -- deja nomme -- s'elance
Sur quelque nid jaseur a la fin d'un beau jour,
Tout s'y tait, et l'horreur s'insinue en silence
Ou fut la paix, ou fut la joie, ou fut l'amour!
Quel frisson nous saisit! -- Les messieurs et les dames
Palirent, et l'on crut passer le Saint-Gothard
Des le premier aboi de la meute des gammes.
Quelqu'un voulut partir ; mais il etait trop tard!
Captifs! -- Et nul moyen de commuer sa peine
En ce sommeil beat que distille un sermon :
Car les touches d'ivoire et les touches d'ebene
Tonnaient ou gemissaient sous les doigts du demon!
Oh! ce fut bien en vain, heures, que vous sonnates ;
Le monstre restait sourd a vos avis, helas!
Et le Temps, accable, ralait sous les sonates :
Chacun eut ecorche trois fois ce Marsyas!
Horrible! horrible! -- Mais pendant que mes oreilles
Subissaient les " Morceaux " de ce Torquemada,
Mon ame aux chers pays des bizarres merveilles
S'enfuyait. -- Ce fut au Japon qu'elle aborda.
La-bas, ou votre esprit si volontiers s'exile,
Burty ; la-bas ou met la soie en echeveaux,
Reveuse sous le toit de quelque antique asile,
Celle a qui vont nos coeurs, pacifiques rivaux ;
La-bas je suis alle d'un vol rapide. O reve!
Ma pensee a plane sur cet ocean bleu,
Perfide, et dont le flot a tout instant que creve
Le lourd poisson-volant, roule, la nuit, du feu.
Blanc de neige, au-dessus des campagnes fertiles,
Le vieux Fousihama dressait son front sacre :
L'Empire du Soleil-Levant, herisse d'iles,
Semblait, comme une flotte, etre a sa base ancre.
Je me suis arrete, ravi, dans une plaine
Immense et verte, aux bords a pic d'un fleuve clair
Qui refletait, charges de fruits, la voile pleine,
Les bateaux indolents en route pour la mer.
Ainsi qu'en ces ecrans exacts et gais qu'invente
L'artiste delicat un matin, au reveil,
Et que peint de couleurs riches sa main savante,
Je voyais le Japon soudain rire au soleil :
Les laboureurs avec leurs grands chapeaux eu cones,
Les aveugles braillards, et les bons voyageurs,
L'eventail au cote, montant des vaches jaunes,
Defilaient a mes yeux plus surpris que songeurs ;
Et defilaient aussi, marcheurs sans petulance,
Chers a tous, et jamais regardes de travers,
D'aimables colporteurs, leurs ballots en balance
Sur l'epaule, et vendant des volumes de vers!
Enfin j'ai rencontre, traversant les cultures,
Sous des camellias splendidement fleuris,
La Jeune-Femme au nez aquilin des peintures
Amoureuses, qui font notre joie a Paris.
Helas! celle qui fut dans Yeddo courtisane,
L'enfant peinte, fardee, aux yeux de chatte, a l'air
De Pierrot souriant, aujourd'hui se basane.
Elle est pauvre; sa robe ancienne est d'un bleu clair.
Ce n'est plus la beaute royalement vetue
Que nous vimes jadis, -- delicieux tableau,
Pale, la pipe aux doigts, et, comme une statue,
Accroupie immobile a son balcon sur l'eau.
Sur son front, ses cheveux qu'effleurait ma memoire
D'un baiser tendre, font leurs volutes encor,
Mais on ne voit jamais luire en leurs flots de moire
Les boules de cristal, ni les epingles d'or.
Elle ne chante plus, la nuit, au clair de lune,
En cueillant les iris qu'adorait son amant
(Ce farouche soldat a la moustache brune,
Qui parlait de s'ouvrir le ventre constamment).
Non! son amant est mort, et le sabre se rouille
Au champ triste ou le corps de ce brave est reste!
Et maintenant sa main longue et fine depouille
Feuille a feuille, au soleil, les rameaux noirs du the.
Elle s'est mariee! -- Un paysan morose
Au dos voute comme un homard est son epoux :
Celle qui composait des stances a la rose,
S'enivre de saki pour oublier les coups.
Справка.
*Филипп Бюрти (1830-1890) - прогрессивный французский художественный критик, занимавшийся рассмотрением объектов искусства с артистической, исторической и этнографической точки зрения. Ему приписывают введение в научный и критический обиход нового термина - "японизм". Пропагандировал технику офорта, художественную манеру импрессионистов, коллекционировал эстампы Мане. Был личным другом ряда известных художников: Шарля Дюрана, Феликса Бракмона. Известен его портрет 1874 г. работы Шарля Дюрана. Бюрти с 1859 г. был постоянным сотрудником в Gazettes des Beaux-Arts, работал в ряде других изданий.