Entre les troncs geants, dans les vastes fougeres,
Defilent longuement les Galls aux cheveux blonds ;
Les femmes, les enfants aux sandales legeres,
Vont derriere, a cote des lourds chariots longs ;
Tous se rendent au grand Dolmenn, aux Rouges-Pierres,
Sous le Chene sacre, nourricier du Gui blanc.
Eveille tout a coup par les clameurs guerrieres
Et par les feux, le cerf, eperdu, fuit tremblant ;
Les bois morts sous les pieds craquent ; un long murmure
Etrange et musical dans les ombres les suit ;
Parfois un front luisant, des yeux, un bout d'armure,
S'illuminent soudain, puis rentrent dans la nuit.
Ils arrivent enfin a la colline sainte
Qu'aime le Dieu-sans-nom, adore sous les cieux ;
Et parmi les tribus, ils marquent dans l'enceinte
La place de leurs camps, puis allument leurs feux :
Voici les Carnautens aux enormes epees ;
Voici les clans d'Armor brandissant le penn-baz ;
Voici les Brithons peints de couleurs detrempees,
Et les Franks dont l'angon appelle les combats.
Des sayons eclatants, de lourdes peaux de betes,
Couvrent les membres noirs et velus des guerriers ;
Les cheveux sont epars ou dresses sur les tetes,
En chignons empennes, d'une ecorce lies.
Immobiles, les chefs ont l'air d'hommes de pierre,
Et chez tous, encadrant la bouche au lourd dessin,
Les poils rouges et drus de la moustache fiere
Pendent superbement jusqu'au robuste sein.
Sur les durs boucliers reposent les framees,
Les courts glaives, les crocs, la francisque aux tranchants
Terribles, les grands arcs, et les haches formees
De bronze, de granit ou du silex des champs.
Une brume s'eleve au-dessus de la foule
Avec les cris des gens l'un par l'autre appeles ;
La cervoise ecumeuse a pleines cornes coule ;
Et l'on entend mugir les boeufs roux deteles.
A travers la fumee on peut voir les visages
Des Druides, la-bas, pres de l'autel, vetus
De blanc ; les Bardes sont en bleu ; les vieux Eubages***
Sont en vert. -- Sur leurs fronts eclatent leurs vertus.
Leur barbe est blanche, helas ! et leur mort est prochaine !
Mais Hu-Gadarn**** leur fait les bras vaillants encor ;
Calmes, ils vont cueillir le Gui sur le vieux Chene
Ceint de bandes de pourpre et d'epais anneaux d'or.
Quittant sa harpe, un barde a fait grincer sa rhote***** ;
Les Galls sont attentifs, et l'on voit des eclairs
Dans leurs yeux bleus ou noirs, a chaque rude note,
Qui monte, comme un cri de blesse, dans les airs.
Le barde tait son chant. -- Alors un grand silence
Se fait. -- On n'entend plus que le gresillement
Des torches, ou le bruit strident d'un fer de lance
Heurtant un bouclier, et qui meurt brusquement.
Soudain, comme les champs d'orge, oscillent les tetes ;
Tous les yeux sont fixes sur les chenes sacres ;
Et du bois sombre sort la Muse des poetes,
Ghanna, la prophetesse aux discours inspires !
Elle apparut ainsi dans la pleine lumiere ;
Et moi, Soldat romain, farouche deserteur,
Je sentis dans mon coeur de marbre la premiere
Ivresse de l'amour couler avec lenteur.
Ses beaux pieds soulevaient sa longue robe blanche ;
Ses bras etaient croises sur son sein libre et nu ;
Un baudrier de cuivre emprisonnait sa hanche ;
Et, grave, elle marchait les yeux dans l'Inconnu.
Une faucille d'or jetait une etincelle
Courbe sur son cote ; -- torrent blond, les cheveux
Roulaient impetueux jusqu'aux talons de celle
Que, soldat attendri, je couvrais de mes voeux.
Pale, maigre, l'oeil creux, la vierge au front austere,
Entre les rangs des Brenns******, se rendit a pas lents
A l'autel de granit, ou, les cornes en terre,
Inquiets, fremissants, beuglaient deux taureaux blancs.
Puis elle disparut. -- Sur un lit de verveine
On apporta bientot les membres pantelants
Des taureaux. -- Ce fut tout. -- Du venerable Chene
Le Gui tomba suivi de feuilles et de glands :
Et je ne la vis plus ! -- Sur la mousse fletrie,
Ivres, mes compagnons sommeillaient en grondant ;
Et seul, pres du feu mort, et loin de ma patrie,
Je gemissais, tordu par un desir ardent !
Справка.
*Ghanna, Ганна - д'Эрвильи описывает, как проходил один из главных старинных друидических праздников где-то в древней Галлии. В качестве одной из главных устроительниц праздника рисуется неведомая пророчица Ghanna.
**Леон Дьеркс (1838-1912) - французский поэт. Родился на острове Реюньон. Последователь Леконта де Лиля. Характерный представитель парнасской школы. В 1898 г., после смерти Маллармэ, был провозглашён молодёжью "принцем французских поэтов". Наиболее интересные eго поэтические сборники: "Les Levres Closes" (1861) и "Les Paroles du vincu" (1871).
***Eubages, евбаги - какой-то особый, отличный от друидов, разряд кельтских, особо знающих и почитаемых жрецов в древней Галлии.
****Hu-Gadarn - так назван один из главных древних кельтских богов, прародитель кельтов, в имитациях древних кельтских саг, которые создавались поэтами 18-го-19-го веков.
*****Rhota - квадратный, не то четырёх- , не то пятиструнный музыкальный инструмент.
******Brenns, бренны, Бренн. Имя Бренн носили некоторые известные в истории галльские вожди и полководцы. А вот о племени бреннов энциклопедия Брокгауза и Ефрона пишет, что это славяне (?), жившие на германской территории, пруссаки (?). Кого имел в виду д'Эрвильи, не ясно.