The Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1
by Paul Verlaine
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Title: Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1
Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes, Bonne chanson, Romances sans
paroles, Sagesse, Jadis et naguère
Author: Paul Verlaine
Release Date: February 20, 2005 [EBook #15112]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLÈTES DE PAUL VERLAINE ***
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(BnF/Gallica)
POÈMES SATURNIENS
Les Sages d'autrefois, qui valaient bien ceux-ci,
Crurent, et c'est un point encor mal êclairci,
Lire au ciel les bonheurs ainsi que les dêsastres,
Et que chaque âme êtait liêe à l'un des astres.
(On a beaucoup raillê, sans penser que souvent
Le rire est ridicule autant que dêcevant,
Cette explication du mystère nocturne.)
Or ceux-là qui sont nês sous le signe SATURNE,
Fauve planète, chère aux nêcromanciens,
Ont entre tous, d'après les grimoires anciens,
Bonne part de malheur et bonne part de bile.
L'Imagination, inquiète et dêbile,
Vient rendre nul en eux l'effort de la Raison.
Dans leurs veines, le sang, subtil comme un poison,
Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule
En grêsillant leur triste Idêal qui s'êcroule.
Tels les Saturniens doivent souffrir et tels
Mourir,--en admettant que nous soyons mortels.--
Leur plan de vie êtant dessinê ligne à ligne
Par la logique d'une Influence maligne.
P.V.
PROLOGUE
Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire,
Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire,
Vers la Ganga rêgnaient leur règne êtincelant,
Et, par l'intensitê de leur vertu, troublant
Les Dieux et les Dêmons et Bhagavat lui-même,
Augustes, s'êlevaient jusqu'au nêant suprême,
Ah! la terre et la mer et le ciel, purs encor
Et jeunes, qu'arrosait une lumière d'or
Frêmissante, entendaient, apaisant leurs murmures
De tonnerres, de flots heurtês, de moissons mûres,
Et retenant le vol obstinê des essaims,
Les Poètes sacrês chanter les Guerriers saints,
Ce pendant que le ciel et la mer et la terre
Voyaient--rouges et las de leur travail austère--
S'incliner, pênitents fauves et timorês,
Les Guerriers saints devant les Poètes sacrês!
Une connexitê grandiosement calme
Liait le Kchatrya serein au Chanteur calme,
Valmiki l'excellent à l'excellent Rama:
Telles sur un êtang deux touffes de padma.
--Et sous tes cieux dorês et clairs, Hellas antique,
De Sparte la sêvère à la rieuse Allique,
Les Aèdes, Orpheus, Akaïos, êtaient
Encore des hêros altiers et combattaient,
Homêros, s'il n'a pas, lui, maniê le glaive,
Fait retentir, clameur immense qui s'êlève,
Vos êchos, jamais las, vastes postêritês,
D'Hektôr, et d'Odysseus, et d'Akhilleus chantês.
Les hêros à leur tour, après les luttes vastes,
Pieux, sacrifiaient aux neuf Dêesses chastes,
Et non moins que de l'art d'Arès furent êpris
De l'Art dont une Palme immortelle est le prix,
Akhilleus entre tous! Et le Laëtiade
Dompta, parole d'or qui charme et persuade,
Les esprits et les coeurs et les âmes toujours,
Ainsi qu'Orpheus domptait les tigres elles ours.
--Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères,
Est-ce que le Trouvère hêroïque n'eut pas
Comme le Preux sa part auguste des combats?
Est-ce que, Thêroldus ayant dit Charlemagne,
Et son neveu Roland restê dans la montagne
Et le bon Olivier et Turpin au grand coeur,
En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur,
Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles,
Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,
Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux,
De Roland et de ceux qui virent Roncevaux
Et furent de l'ênorme et suprême tuerie,
Du temps de l'Empereur à la barbe fleurie?
--Aujourd'hui l'Action et le Rêve ont brisê
Le pacte primitif par les siècles usê,
Et plusieurs ont trouvê funeste ce divorce
De l'harmonie immense et bleue et de la Force.
La Force qu'autrefois le Poète tenait
En bride, blanc cheval ailê qui rayonnait,
La force, maintenant, la Force, c'est la Bête
Fêroce bondissante et folle et toujours prête
A tout carnage, à tout dêvaslement, à tout
Égorgement d'un bout du monde à l'autre bout!
L'Action qu'autrefois rêglait le chant des lyres,
Trouble, enivrêe, en proie aux cent mille dêlires
Fuligineux d'un siècle en êbullition,
L'Action à prêsent,--ô pitiê!--l'Action,
C'est l'ouragan, c'est la tempête, c'est la houle
Marine dans la nuit sans êtoiles, qui roule
Et dêroule parmi des bruits sourds l'effroi vert
Et rouge des êclairs sur le ciel entr'ouvert!
--Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes
De la vie et du choc dêsordonnê des armes
Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs
Ineffables, voici le groupe des Chanteurs
Vêtus de blanc, et des lueurs d'apothêoses
Empourprent la fiertê sereine de leurs poses:
Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,
Et sur leur front le rêve inachevê des Dieux,
Le monde que troublait leur parole profonde,
Les exile. A leur tour ils exilent le monde!
C'est qu'ils ont à la fin compris qu'ils ne faut plus
Mêler leur note pure aux cris irrêsolus
Que va poussant la foule obscène et violente,
Et que l'isolement sied à leur marche lente.
Le Poète, l'amour du Beau, voilà sa foi,
L'Azur, son êtendard, et l'Idêal, sa loi!
Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,
Où le rayonnement des choses êternelles
A mis des visions qu'il suit avidement,
Ne sauraient s'abaisser une heure seulement
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires,
Et sur vos vanitês plates; et si naguères
On le vit au milieu des hommes, êpousant
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant
Aux guerres, cêlêbrant l'orgueil des Rêpubliques
Et l'êclat militaire et les splendeurs auliques.
Sur la kitare, sur la harpe et sur le luth,
S'il honorait parfois le prêsent d'un salut
Et daignait consentir à ce rôle de prêtre
D'aimer et de bênir, et s'il voulait bien être
La voix qui rit ou pleure alors qu'on pleure ou rit,
S'il inclinait vers l'âme humaine son esprit,
C'est qu'il se mêprenait alors sur l'âme humaine.
Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène.
MELANCHOLIA
A Ernest Boutier.
I
RÉSIGNATION
Tout enfant, j'allais rêvant Ko-Hinnor,
Somptuositê persane et papale,
Hêliogabale et Sardanapale!
Mon dêsir crêait sous des toits en or,
Parmi les parfums, au son des musiques,
Des harems sans fin, paradis physiques!
Aujourd'hui plus calme et non moins ardent,
Mais sachant la vie et qu'il faut qu'on plie,
J'ai dû refrêner ma belle folie,
Sans me rêsigner par trop cependant.
Soit! le grandiose êchappe à ma dent,
Mais fi de l'aimable et fi de la lie!
Et je hais toujours la femme jolie!
La rime assonante et l'ami prudent.
II
NEVERMORE
Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L'automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise dêtone.
Nous êtions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensêe au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard êmouvant:
"Quel fut ton plus beau jour!" fit sa voix d'or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angêlique.
Un sourire discret lui donna la rêplique,
Et je baisai sa main blanche, dêvotement.
--Ah! les premières fleurs qu'elles sont parfumêes!
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimêes!
III
APRÈS TROIS ANS
Ayant poussê la porte êtroite qui chancelle,
Je me suis promenê dans le petit jardin
Qu'êclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide êtincelle.
Rien n'a changê. J'ai tout revu: l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.
Même j'ai retrouvê debout la Vellêda,
Dont le plâtre s'êcaille au bout de l'avenue.
--Grêle, parmi l'odeur fade du rêsêda.
IV
VOEU
Ah! les oarystis! les premières maîtresses!
L'or des cheveux, l'azur des yeux, la fleur des chairs,
Et puis, parmi l'odeur des corps jeunes et chers,
La spontanêitê craintive des caresses!
Sont-elles assez loin toutes ces allêgresses
Et toutes ces candeurs! Hêlas! toutes devers
Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers
De mes ennuis, de mes dêgoûts, de mes dêtresses!
Si que me voilà seul à prêsent, morne et seul,
Morne et dêsespêrê, plus glacê qu'un aïeul,
Et tel qu'un orphelin pauvre sans soeur aînêe.
O la femme à l'amour câlin et rêchauffant,
Douce, pensive et brune, et jamais êtonnêe,
Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant
V
LASSITUDE
A batallas de amor campo de pluma.
(CONGORA)
De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces transports fêbriles, ma charmante.
Même au fort du dêduit, parfois, vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la soeur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien êgaux les soupirs et ton regard berceur.
Va, l'êtreinte jalouse et le spasme obsesseur