Смирнова-Россет Александра Осиповна
Extraits des carnets de souvenirs d'Alexandrine Smirnoff née de Rosset i 1826 à 1845

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Extraits des carnets de souvenirs d'Alexandrine Smirnoff née de Rosset i 1826 à 1845.

   J'ai trouvé Khomiakoff chez les Pouschkine, il revient de Moscou. Grillon toujours taquin l'а menacé de me dire "des vers terribles", qu'il а fait pour moi, j'ai répondu à Pouschkine que j'ai vu des vers très flatteurs, le Grillon а riposté: "il у en а d'autres où il vous appelle inostranka" (étrangère), et d'un ton lamentable il а récité 8 lignes, enfin Khomiakoff in self defence, а consenti à me les donner et а fini par me demander si cela m'а offensé? Cet insupportable Grillon chantonait: "Ils sont trop verts, tu as du dépit, oh, mon ami!" J'ai assuré Khomiakoff que cela ne m'offense pas du tout: "Le nom n'est pas russe, mais le coeur est russe". Khomiakoff s'est écrié: "Dites petit-russien". Alors moi j'ai riposté: "Je ne m'en câche pas, ce n'est pas un crime de lèse-Russie d'aimer la P-te Russie, Kiéw est la Russie comme Moscou!" Pouschkine а fini par lui dire: "Tu sais que tu n'auras jamais le dernier mot avec Déva Rosa, tu oublies qu'elle est le terreur des courtisans, ce que tu as de mieux à faire c'est d'offrir tes deux poésies avec humilité!" Khomiakoff s'est exécuté avec bonne grâce, j'ai accepté avec réconnaisance et pour punir Iskra de ses taquineries je l'ai obligé à nous lire tout ce qu'il avait écrit le matin {Vierge des roses, titre du 1-er poème, Etrangère le second poème.}.

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   Pouschkine est venu me voir pour me lire des vers, il а trouvé Chambeau {Chambeau était le secrétaire de l'impératrice, il l'avait accompagnée en Russie avant son mariage, c'était un excellent homme, qu'on estimait beaucoup. J'ai ce billet, où l'impératrice écrit: "Vous m'avez renvoyé le 2-d volume et il est à présumer qu'il y a eu 1-er?" On lisait beaucoup Walter Scott à. cette époque et l'impératrice donnait des livres à ses jeunes demoiselles d'honneur, il parait ici qu'elle les lisait après même. Ma mère était distraite.} qui m'avait apporté un mot de l'impératrice, je devais lui renvoyer Woodstock 'et j'ai eu une distraction, enfin Chambeau а retrouvé le1-er volume. Quand il est parti Pouschkine m'а demandé: "Pourquoi parle-t-il en franèais du XVII s.?" J'ai répondu: "C'est un huguenot, il y a même un village où les exilés de l'édit de Nantes ont demeuré, à la porte de Berlin, Büchholz le Franèais; Chambeau m'а dit qu'il y a encore des Molière, il y a le ministre Ancillon, les Larochelambert, etc." Parlant de l'édit de Nantes Pouchkine me disait: "Cette dispersion de gens de grand caractère, rigides, très convaincus, d'hommes de talent, а affaibli la France comme une saignée et déjà les premiers huguénots ont porté des industries nouvelles en Angleterre, ils ont été fort utiles aussi à la Suisse et à la Hollande et en Prusse surtout, ils étaient plus civilisés que la masse en Prusse, la France а subi une perte alors". Chaque fois que je cause avec Pouschkine, je suis charmée, il а réfléchi à tout, а pensé à mille sujets dont on ne parle ici, il а quelque chose de si universel et il а des idées originales sur l'histoire. Je lui ai demandé ce qu'il а fait, ne l'ayant pas vù.de quelques jours; il а tiré de sa poche des dessins, il а fait la caverne du Spleen {Dans le Poème de Pope il y a la Caverne du Spleen.}, dans laquelle il а placé Boulgarine, Gretch, Senkowsky, Katchenowsky et tous les pédants et Caton aussi, et il m'а annoncé qu'il allait écrire la Dunciade russe.. М. lui а prêté une édition de Pope, dont il est enchanté, il m'а même dit que Pope est le maitre de Byron, et que Childe Harold, comme il l'appelle, admirait beaucoup Pope et у pensait en écrivant le Don-Juan; il m'а cité des passages même. Il а aussi dit qu'il ferait un jour une boucle de cheveux enlevés russe, ce serait une barbe inlevée, il en а fait un dessin aussi, au lieu des theiéres et des pots à ale en gaieté il а mis des samovar et des kowchy {Des louches et des écuélles, dont le peuple se sert pour l'eau et le kwass, elles sont à mouches et très-anciennes.}, dont les profils sont des caricatures très-ressemblantes de ses ennemis intimes et particuliers; а présent il lit la prose de Pope et de Byron en même temps.

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   Hier Pouschkine a revû М-r Smirnoff chez les Karamzine, il arrive de Londres cette fois, c'est un diplomate, les Nesselrode l'aiment beaucoup et М-me Karamzine aussi, il taquine Sophie autant que Pouschkine et lui а rapporté une cargaison de romans anglais. М-r Smirnoff devait être le garèon de noce de Pouschkine, mais il а dû repartir pour Londres alors. Il a dit à Iskra que Nathalie ressemble à une Madone de Pérugin".
   Pouschkine а déjeuné chez М-r Smirnoff, а vû ses tableaux, ses objets d'art et ses livres, ils ont beaucoup parlé de Byron, d'Italie, où М-r S. а été six ans, et de l'Angleterre. Il a conseillé à Pouschkine de faire le grand tour en Europe et en Orient! Iskra m'а dit: "Le grand tour, cela me fait venir l'eau à la bouche. Je fais des projets insensés! Smirnoff me plait beaucoup, il est si européen et il est resté si russe. Sa mère était la dernière Bouchvostoff, descendante du Léontïe de Pierre le Grand, mes parents l'ont connue, elle est morte bien jeune. Le fils а un type d'anglais blond ou de suédois, et il monte à cheval comme un anglais. Il était fort lié avec ce pauvre Saint-Priest. Il parle parfaitement le russe quoiqu'élevé par des émigrés et quand son père est mort son oncle l'а envoyé voyager avec ses mentors émigrés à seize ans. Il est entré à 18 dans la diplomatie comme moi et а vécu, l'heureux mortel, en Italie très longtemps. Je crois qu'il vous plaira, notre boyar italien, notre mylord russe". J'ai répondu: "Pourquoi boyar, mylord, italien et russe tout emsemble?" -- "Parcequ'il parle l'italien en perfection, qu'il а un type anglais, et qu'il est bon russe car il adore Pierre le Grand comme moi et il aurait fait un bon boyar civilisé à la douma comme votre très-humble serviteur" {C'est ainsi que Pouschkine d'avance а présenté mon père à ma mère. Elle fit sa connaissance chez les Karamzine, car jusque là pendant ses courts séjours en Russie, mon père allait passer ses congés dans ses terres où il chassait, étant chasseur de loups avec passion, ou chez son oncle, où demeurait son unique soeur, devenue bossue à la suite d'une chute; elle а demeuré chez mes parents après leur mariage. Pouechkine l'aimait beaucoup et elle s'était prise d'enthousiasme pour ma mère, pour Pouschkine et Joukowsky. Elle mourût presque deux ans avant le poète, qui montra beaucoup d'amitié à mon père alors. Elle aussi avait été elevée par deux dames emigrées et elle parlait le russe moins bien que ma mère, quoiqu'élevée à Moscou.
   Pouschkine avait une originalité, il n'y a pas de doute quelle ne lui ait nui avec ceux qui jugent superficiellement et ceux qui sont, soit naturellement malveillants, ou qui sont d'une sévérité exceptionellc pour toute individualité supérieure et nullement par désir de la voir parfaite, mais par un sentiment d'envie mesquine, sentant la supériorité de ceux qu'ils jugent sans discernement.,I1 faut se dire que la charité, la bonté, la pitié, la simple bienveillance même sont infiniment plus perspicaces, car l'envie, la haine, (comme la jalousie du reste), toutes les mauvaises passions sont inintelligentes infiniment plus qu'on ne croit. Cette originalité consistait à paraître indifférent souvent, à plaisanter même quand il sentait vivemeot, à dire des mots satiriques, les lanèant à la volée sans égard pour les hypocrisies mondaines et même à cause d'elles. Eu même temps il savait être ce que ma mère lui а dit présqu' au début de leur amitié: "Vous êtes tout simplément très Вотъ. (Voir Eugène Oneguine). Ainsi, lorsque ma tante Sophie Smirnoff arriva à Petersbourg avec toute la maison: une enfant adoptée par sa mère et qu'elle achevait d'elever, petite orpheline d'un des paysans d'une terre, père et mère ayant péri dans un incendie, une dame franèaise qui l'avait élevée et très âgée, М-elle de Cazier, qui mourut un an avant ma tante, une pauvre parente recueillie par elle, une autre pauvre demoiselle russe chargée de soigner М-elle de Cazier, des femmes de service et trois vieux domestiques, tout ce monde logea au rez-de-chaussée, ma tante ne pouvant pas monter l'escalier et mes parents logeant au premier. Elle avait de l'esprit, de la lecture, une bonté parfaite, mais souffrant de maux de tête comme bien des bossus et la poitrine délicate car étroite. Au contraire de tous les bossus elle avait des pieds et des mains d'une beauté extraordinaire, les pieds si petits qu'elle marchait difficilement. Ses traits réguliers, un peu forts pour sa taille, le regard des yeux bleus très fins, (elle était myope), de beaux cheveux blonds, un teint très pur, mais la tête était disproportionnée au corps, car la chûte qu'elle fit l'avait entièrement estropiée.
   Pouschkine demanda à lui être présenté, elle en avait entendu parler par mon père bien avant, mais se sentait intimidée, quand ma mère le lui amena avec Joukowsky. En entrant chez elle Pouschkine prévenu de sa timidité, s'écria; "Sophia Mihailovna, j'espère que vous serez la vraie soeur de Smirnoff, c. à. d. que vous aurez de l'amitié pour moi aussi". Ceci l'a mit de suite à l'aise et Joukowsky lui disait: "Partagez un peu cette amitié en deux, j'en veux aussi ma part".
   Souvent ils entraient chez elle avant de monter chez ma mère, car elle ne voulût jamais se montrer à des visites; mes oncles, qui l'aimaient beaucoup, surtout Josephe qui l'amusait, et pour lequel elle eût beaucoup d'amitie surtout, venaient la voir souvent. C'est à Pétersbourg qu'elle commenèa à lire les écrivains russes nouveaux jusque là, au grand étonnement de ma mère, elle n'avait lû que Derjawine en fait de poètes russes et l'histoire de Karamzine. Elle lût Von-Wisin, Gribojédoff, Joukowsky, Pouschkine, Kryloff, Batuschkoff et enfin les nouvelles du hutor et Tarass Boulba. J'ai des cahiers de ma grand' mère Smirnoff, un carnet de ma tante Sophie, des cahiers de ma grand tante la princesse Anne Tjyzianoff, très belle personne, très douée, lettrée même et qui peignait la miniature en perfection, était musicienne comme sa cadette Elisabethe, élèves toutes deux de Field, qui demeura à Moscou, et dans ces cahiers il y a des copies de poésies anglaises et italiennes et pas une seule russe. On voit qu'elles savaient à fond l'italien, l'anglais, le franèais, et que la Russie littéraire pour cette génération était encore lettre morte. Karamzine fut le seul pour la prose, et Derjawine pour la poésie, les seuls qu'on lût et l'historien а crée la nouvelle russe (imitée des contes moraux de Marmontel), le genre était faux, mais l'éssai eut son utilité, surtout Marfa Boretzkaja, même Natascha la fille du Bayard, car il prouvait qu'on peut intéresser les femmes à des sujets russes et les femmes font les moeurs du grand monde.
   Joukowsky fit des nouvelles (un peu sensibles et peut-être non moins pseudorusses) et ses Douze Vièrges endormies en vers dans le même but. Il y a une note à ce sujet dans un carnet de ma mère, il s'agit de Rousslan et Ludmilla: "Sophie а enfin lû R. et L., elle en est enchanteé et Pouchkine aussi, car c'est le prologue qui l'а râvie surtout et elle le lui а dit. Je l'ai obligée à lui parler de son poème et de ses skassky, des nouvelles de Belkine, et aussi à Joukowsky de Swetlana, Tzar Bérendeï et ses traductions, elle avait lû, le prisonnier de Chillon de Byron et а comparé ligne par ligne les deux oeûvres, elle avait lû aussi l'Ange et la Péri de Moore. Elle disait aux deux amis qu'il y a pour elle une nouvelle joie dans la vie, et elle а trouvé Kryloff charmant, autrefois elle n'avait lu que les Fables de Lafon taine. Ils étaient curieux de savoir ce qu'elle pense de Von-Wisin et de Griboyédoû; elle а répondu: "Je n'ai plus vû des Prostakoff à Moscou, mais je connais les personnages de Goré ott ouma et même si ce n'était peu charitable je vous les nommerais"Ces détails m'ont parûs typiques, elle fut élevée à Moscou, en été elle allait à la campagne. Sous ce rapport (depuis Catherine), Petersbourg fut pourtant plus occupé des lettrés russes quoique C. Aksakoff ait dit de la nouvelle capitale: "Fille illégitime de la Russie et l'occident". (Lettre de C. А.). А la mort de ma tante Pouschkine vint aussitôt chez mon père, l'entoura de sympathie, veilla avec lui près du cerceuil et même lui offrit de l'accompagner à Moscou où l'on transporta le corps au couvent de Donckoï, lieu de sépulture de la famille. Mais m-me P. attendait ses couches et mon père refusa, car à cette date il fallait plus d'une semaine parfois, vû les routes du temps, pour faire ce voyage. J'ai tenu à donner ces détails parce que l'on s'est figuré que Pouschkine manquait de coeur dès qu'il plaisantait, qu'il у avait en lui quelque chose de sceptique lorsqu'il lanèait des boulades sur l'amour, l'amitié, ou des sarcasmes sur des questions de sentiment. Gogol aussi а passé pour être un égoïste et un sans coeur, n'étudiant l'humanité que pour у chercher des types. Cette accusation а du reste été faite sur beaucoup d'homme de génie et de talent, simplement parceque leur oeûvre les passionne, qu'elle est leur mission et qu'ils ne sont pas souvent expansifs; la sentimentalité passe sans cesse pour du sentiment ici-bas. Ceci m'а engagée de donner ces détails dont aucun biographe de Pouschkine et Joukowsky ne sût rien. Gogol а parfaitement défini la chose en écrivant au père des Aksakoff: "Vous ne connaissez de moi que l'écrivain, de l'homme vous ne savez pas grand chose". (Lettre de 1847).}.
   Le Maréchal est arrivé, il loge au Palais, très fété, le soir il а raconté des détails intéressants à l'impératrice, mais il n'est pas éloquent. J'ai été assise à coté du Maréchal à souper, il m'а dit des choses fort obligeantes sur mes frères, Arcâde surtout, qui а reèu un sabre d'honneur. Pouschkine m'avait priée de dire au Maréchal qu'il serait très content de le voir et qu'il lui demandait une entrevue. Le Maréchal а souri et m'а demandé: "Il m'а donc pardonné mes méfaits?" -- "Quels méfaits?" -- "Quand il était avec l'armée â Erzéroum, il risquait sa vie inutilement, а répondu le Maréchal, et je l'ai prié de s'en aller, il а été furieux contre moi, si,on l'avait tué, on m'aurait fait des reproches sans doute". Il а ajouté en riant: "Je crois que j'ai eu raison et lui tort, dites lui que nous avons chacun notre métier, je gagne des batailles et lui les célèbre en vers superbes, j'espère qu'il m'en donnera un exemplaire?" Il m'а demandé ensuite, si je connaissais Griboyédoif et m'en а parlé longtemps, c'est un cousin de la maréchale, il m'а dit que la pauvre jeune veuve ne se console pas. J'ai parlé russe au Maréchal, qui m'а demandé comment il se fait que je parle si bien le russe, il а ajouté: "Les belles dames n'ont pas cette hâbitude" {J'ai retrouvé à la suite de cette conversation une autre note. Pouschkine m'а dit: "Comme vous traduisez vite en franèais dès que nous parlons en russe, c'est étonnant. C'est un exercice très utile même, cela enseigne à donner les termes equivalents en deux langues et même cela vous enseignera à écrire le russe plus facilement puisque vous dites que vous n'en avez pas l'habitude, comme toutes nos femmes du monde, quoique vous Je parlez si bien. Quand vous n'aurez rien à faire un jour retraduisez toutes vos notes en russe comme exercice de style". J'ai 'répondu qu'on causait surtout en franèais chez les Karamzine, mais que les discours sont panachés, mélange de franèais et de nowgorodien, seulement ce sont des phrases entières en russe et pas seulement un mot ou deux en russe dans la phrase franèaise, en franèais dans la phrase russe. Je continue à faire mes notes en franèais, les abréviations sont plus faciles, j'en ai pris l'habitude et les mots sont moins longs, nos mots russes sont parfois si interminables, ont tant de syllabes et je suis parésseuse". Cet aveu l'а fait rire. J'ai demandé si la quantité de syllabes à cause des déclinaisons n'était pas une difficulté pour la poésie russe. Il а souri: "Oui, cela constitue une difficulté d'un certain genre, mais elle existe en latin, en grec, en allemand. L'italien est la langue la plus facile aux poètes, et d'Oubril m'а dit que l'espagnol а la même qualité. En anglais les mots d'une syllabes abondent, ceci est aussi un avantage pour les poètes, mais à mon avis la langue la plus difficile pour les poètes est le franèais, pas la langue d'Oc, la langue d'Oil, le franèais depuis le XVII-e siècle". Je lui ai dit: "vous avez fait des vers franèais". Il а éclaté de dire: "vous appelez cela des vers, vous êtes bien bonne, j'ai aussi écrit une comédie en franèais avant d'aller au Lycée".}. Je me suis amusée à souper, le Maréchal est original, il ne cause pas, mais il n'est pas comme tout le monde.
   Pouschkine sera très content, parcequ'il brûlait du désir de le voir et lui portéra ses vers, il lui doit cela pour scéller la paix; Paskéwitch {Paskéwitch qui était alors le seul maréchal russe, l'autre était le duc de Wellington, auquel Alexandre I donna ce titre honorifique. Plus tard, après la guerre de Hongrie l'Empereur Nicolas nomma le Conte Radetzky mdes armées russes. Ce sont les seuls étrangers au XIX s. ayant eu ce titre sans servir en Russie. Les contes Wittgenstein et Diebitch étaient morts à cette dâte déjà.} m'а dit aussi: "Nous avons eu beaucoup de poètes soldats en Russie, Griboyédoff qui avait une bravoure extraordinaire, Batuchkoff, Denis Davydow le partisan, Ryléeff, Bestoujew, Odoéwsky qui ont sû же battre tout en écrivant des poèmes, si j'ai renvoyé Pouschkine à Tifiis c'est que j'ai trouvé inutile de le faire tuer pour rien, il était là en amateur". J'ai raconté alors au Maréchal ce que Nathalie avait dit et il m'а priée de lui redire, qu'il accepterait les remerciments qu'elle destinait à Raévskoy, qu'il en prendrait sa part volontiers et de grand coeur.
   Ce soir on а parlé du traité de la Sainte alliance et S. М. а raconté des détails fort intéressants. En 1814 Stein avait déjà parlé en ce sens à l'Empereur et à Capo d'Istria, c'était tout à fait dans leurs idées. En 1815 М-me de Krüdner était à Paris et on а repris le sujet, l'Empereur disait que la partie réligieuse, l'exorde, est écrite dans le brouillon (qui est aux archives secrètes du Palajs d'hiver), par М-me de Krüdner, le reste, la partie politique, par l'Empereur et Capo d'Istria, qui fesait des notes en marges sur la partie écrite par l'Empereur, et S. М. en а mis sur celle du comte, du reste le brouillion et le texte signé sont presque identiques. L'Empereur а ajouté: "à cette époque tout le monde était hétériste, à Berlin et à Pétersburg; à Londres et à Vienne on ne l'était pas dans le monde diplomâtique, ni Talleyrand non plus!"
   Pouschkine а rencontré Julie {М-elle Julie Batuschkoff, soeur du poète, était une des demoiselles d'honneur aussi et fort liée avec ma mère. Elle épousa ensuite m-r Nicolas Zinovieff, qui était militaire; il y a une lettre d'elle à ma mère en 1837, sur la mort de Pouschkine et que je citerai plus loin. Le général N. Z. fut chargé de l'éducation de feu l'Héritier, le Grand Duc Nicolas (mort à Nice), et du Grand Duc Alexandre devenu l'Empereur Alexandre III. C'était, comme sa femme, la droiture en personne. Toute cette famille Zinovieff же distinguait par cette qualité, par leur simplicité en toutes choses. Marié trois fois le père de N. Z. avait eu 22 enfants, tous très liés, unis, vivant d'une vie toute patriarchale, vie de famille, et d'affection, nullement mondain s chose assez rare dans le grand monde partout.} chez moi, et quand elle est partie il m'а parlé de son frère, de sa poésie et m'а dit que les vers de Batuschkoff sont une musique, parfois aussi musicale que celle de Joukowsky. Il m'а récité une poésie dont la fin l'enchante:
   
   Онъ пѣлъ, у ногъ шумѣла Рона,
   Въ ней мѣсяцъ трепеталъ,
   И на златыхъ верхахъ Ліона
   Лучъ солнца догоралъ...
   
   Je lui ai dit que ces vers m'ont aussi paru merveilleux par leur mélodie et je les avais appris par coeur déjà à l'institut pour un des examens, l'année avant la sortie et que Pletneff nous laissait choisir les vers qui nous plaisaient. Il m'а demandée: "alors c'est vous qui avez choisi pour le grand examen фонтанъ любви, фонтанъ живой"?.. J'ai répondu: "oui, c'est moi-même. Le vers me plait quand il chante... et les vôtres ont aussi d'autres qualités. J'espère que cela vous flatte?" Il s'est mis à rire. Il а trouvé Julie très originale et il est très perspicace car il m'а dit: "Elle а de l'esprit et doit avoir une grande droiture dans le caractère". J'ai répondu: "Droiture parfaite et c'est pourquoi je l'aime, on peut compter sur elle".
   Comme Pouschkine admire ce qu'il appelle des vers coulants, je lui ai dit que j'ai lû dans un livre de littérature anglaise une expression qui m'а parue originale а liquid verse et que c'est assez juste puisque l'eau coule et le vers aussi. J'ai ajouté: "Это поэтическія слезы, les pleurs poétiques de votre Fontaine d'Amour". Marianne Skoughel m'avait prêté ce livre et j'en ai copié des vers à l'intention de P.
   
   Sighed the snow-drops: who shall miss us
   When the happy air shall thrill
   At thy presence, pale narciss us,
   At thy gleam, o! daffodil 1).
   1) Le snow drop est un perce-neige qui n'existe ni à Moscou, ni à Petersbourg. Il commence chez nous vers l'ouest et le sud ouest. Les daffodils sont les coucous de France qui paraissent quand le coucou commence à chanter dans les bois. La primevère anglaise est aussi inconue au Nord, mais les cow-slips anglosaxons poussent partout chez nous en revanche. Notre peuple appelle l'orchis maculata pleurs de coucou, fleur qui joue un rôle dans une des plus vielles cérémonies rustiques de la noce verte (celle du printemps! comme la viola tricolor, Ivan у Maria, joue son rôle dans la veillée de S-t Jean outre la fleur feu, la fougère magique, qui existe dans tous les pays d'occident, ceux qui ont conservé la tradition de cette fête, celle par excellence, et allument les feux de la S-t Jean.
   
   Iskra а de suite inscrit les vers, ils sont d'un vieux poète anglais dont j'ai oublié le nom, un des poètes de second ordre, en tout cas. Pouschkine m'а dit alors: "ce que les anglais appellent poetas minores, mais qui ont parfois des heures très inspirées. Remarquez combien les anglais aiment la nature et les fleurs. Shakespeare en parle si souvent et tous leurs poètes. Ils ont découverts les fleurs et la nature la plus simple "et l'ont aimée, bien avant les franèais, qui ont dû attendre la pervenche de J. J. Rousseau pour admirer ces fleurs des champs {Je possède une eauforte de J. J. tenant la pervenche et au verso est écrit: "Donnée par l'impératrice quand on а parlé de la pervenche dé Rousseau à Péterhof. Les enfants ont trouvé du Ländler-Grass (une graminée) et l'impératrice en а été enchantée. Cette herbe lui rappelle son enfance, en fait de fleurs des champs le bluet est sa fleur préférée. Quant aux roses c'est sa passion. Au Cottage il у en а de si belles. J'aime aussi les Cottage, le jardin, cet endroit а quelque chose de heimlich, qui m'а toujours charmée et L. L. М. М. s'у sentent si heimlich, comme aussi au Palais Anitchkoff, plein, pour eux, des bons souvenirs de jeunesse d'avant leur avènement".}.

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   L'autre soir j'avais demandé à Pouschkine de me prêter les poésies d'André Chénier {L'admiration de Pouschkine pour Chénier est d'autant plus à remarquer que, même en France avant 1819, son nom était voué à l'oubli au point que Joseph Chénier, son ainé, passait encore en 1815 pour un poète distingué et Roucher aussi; il semblait que ce poète assez piètre qui périt le 7 thermidor comme А. Chénier, lui fut supérieur. Il est vrai que les poésies d'Andrés,Chénier n'étaient pas publiées, excepté quelques petits poèmes parus dans le Mercure de France avant la révolution. Ce n'est à vrai dire, que lorsque parut la première édition des oeuvres de Chénier en 1819 qu'un autre poète А. de Vigny, les mit en honneur en 1820 par son admiration. Et cependant bien jeune, lors de son séjours à Odessa, Pouschkine avait déjà lû ce volume, s'enthousiasma pour Chénier, fit sa belle ôde (élégie plutôt) sur sa mort et avait compris ce que Chénier avait voulu faire et accompli en partie -- la renovation du langage poétique et meme qu'il fut le premier poète lyrique selon l'idéal du lyrisme grec. Cette perspicacité critique de Pouschkine n'а pas été assez appréciés encore, car en effet depuis Ronsard et la Pleïade, le lyrisme n'avait plus paru dans la poésie franèaise, qui était toute d'éloquence jusqu'au XIX-me s. et ne devient lyrique qu'avec А. de Vigny, Lamartine, А. de Musset, Victor Hugo, la poésie de l'imagination, du sentiment surtout; car ni Chênedollé ni Gilbert, ni Malfilâtre, ni Alexandre Säumet ne sont encore de véritables poètes lyriques quoiqu'ils en firent l'essai parfois assez réussi. Meme les poèmes de Pouschkine, consacrés à Chénier antidatent de bien des années celui d'А. de Musset. 11 у а eu donc priorité chez le poète russe.}. Il me les а apportées, m'а marquées celles qu'il trouve les plus grecques et les plus originales. Je ne connaissais de lui que les vers adressées à la Jeune Captive (М-elle de Coigny). Enfin il m'а demandée pourquoi je lui avais demandé l'autre soir quelles analogies il y a entre W. Scott et А. Dumas et il disait: "Dumas est auteur dramatique, nullement poète et ce n'est pas un romancier {Je prie les lecteurs de sè rappeler que cette conversation antidate de beaucoup d'évolution d'А. Dumas-père vers le roman, sans quoi l'opinion de Pouschkine pourrait surprendre en France.}. En reste je trouve qu'il а bien fait de servir de la prose pour un drame soit disant historique, où il y a des détails pris'aux mémoires apocryphes et à des légendes sur les Valois surtout". J'ai répondu: "parce que j'entends dire que Dumas et Scott, Victor Hugo et Shakespeare sont des romantiques et se ressemblent. J'ai même discuté sur cela et on m'а dit que l'on а mis sur la scène la Donna del Lago et la Dame Blanche, que chaque roman de Scott peut devenir drame ou opéra; Glinka а dit devant moi que Ivanhoë serait bon sujet d'opèra. J'ai lu deux drames de Dumas, il m'а paru très différent de W. Scott. De plus Cécile Acourt {Miss Acourt était la fille de l'ambassadeur Lord Heytesbury.} m'а dit que Scott а trouvé ses romans dans l'histoire des Maisons Jacobites, qu'il s'est servi d'elles, de légendes et dans les revenants sont très répandus dans les châteaux d'Ecosse et même partout en Grande Bretagne, et ils tiennent à des chroniques de famille. Elle disait que l'histoire de la Paiérie et de Gentry anglaise est remplie de faits romanesques, et de vissicitudes. "Mais je me demande si Dumas а vraiment trouvé tant d'aventures extravagantes dans l'histoire de France, d'ailleurs il n'y a rien d'extravagant dans W. Scott. Trouvez vous des analogies entre eux et entre V. Hugo et Shakespeare?"
   "Aucune, m'а dit Pouschkine, et une autre fois dites le hardiment si on discute votre opinion. On а pris l'habitude de fourrer tous les romantiques dans le même panier. (Sic). Et en France Shakespeare, qui n'а rien de si romantique, rien du genre romantique franèais, passe pour le romantique par excellence. Et Scott n'а rien de romantique tel que les Franèais l'entendent. Corneille est le seul franèais qui puisse être comparé а Shakespeare, mais dans le Cid seulement, qui est du reste plus espagnol. Scott ne s'amuse pas à entasser des aventures extravagantes, telles qu'on les voit dans les 5 actes de Dumas, qui est un dramaturgue très scénique, très habile à produire des effets de théâtre et les spectateurs n'у regardent pas de si près; ils acceptent des invraisemblances, des situations compliquées, que Dumas débrouille avec beaucoup d'art pour les rendre vraisemblables, même il se plaît à ces imbroglios dont le pivot et le centre est une intrigue amoureuse, le plus souvent: au théâtre le gros public demande à être tenu en haleine jusqu'au bout, du moins le succès de Dumas le prouve, sans critiquer trop l'oeuvre en elle même. Scott n'invente rien, c'est un observateur qui décrit, il а étudié l'ère Jacobite surtout, la haine des Ecossais pour Guillaume d'Orange pour les rois Hanovriens, ce qui est historique et même dans les détails, quand le Laird de Balmawhipple boit à la santé du petit Gentleman, en velours brun savez vous ce que c'est?" "Oui, Cecile, me l'а expliqué, c'est la taupe, car on disait que Guillaume III est mort de sa chute de cheval et que le cheval avait bronché sur une taupinière. Elle m'а aussi expliqué le sens du toast, quand en levant le verre de vin chaque' convive le passait au dessus d'un verre d'eau, cela voulait dire: "au roi de l'autre côté de l'eau, au roi James en France". "C'est un détail historique aussi. Il n'y a pas de coureurs de ruelles chez Scott, il y a des Jacobites, le parti royaliste des aînés. D'ailleurs Dumas me parait incapable de mettre en scène un old Mortality, un Dominie Sampson, un Edie Ochiltru, un Calebb Balderston, il y a tant de caractères dans ses romans, tant de types; ainsi Major Dalgetty l'officier de fortune du temps, type très original, mais nullement un bretteur à la Dumas, ni un coureur d'aventures pour le plaisir, de se mêler à des complots compliqués d'aventures amoureuses".-- "Ce genre mousquetaire à panache et Gascon rend les héros du drame de Dumas un peu monotones; même ils n'ont pas d'idées politiques en conspirant, c'est pour le plaisir de courir les aventures qu'ils conspirent, paient des espions ou sont espions eux même. On abuse un peu du romanesque en parlant du XV et XVI-me s. et même du XVlI-e, quand ces beaux messieurs ont conspiré contre Richelieu et Mazarin; la Ligue et la Fronde vont défrayer tout le théâtre, si cela continue. Walter Scott а dit une chose très caractéristique: "Il n'y a rien de plus dramatique que la réalité". Je suis de son avis. Et il y a encore une chose, c'est que les personnages de Scott ont une idée politique en effet, ils ont exercé une action politique, il s'en est fallu de bien peu que la guerre civile ne s'étende en Angleterre et elle а continué en Irlande. Il y a pas mal de gens romanesques dans Rob Roy, Peveril du Pic, Redgauntlet, où il y a un couple quaker délicieux, Guy Mannering, Waver ley sont tous très différents. Que de types dans cette famille Osbaldiston, tous les fils. Et Rashleigh, quel type! Diana Vernon et Flora Mac'Iwor sont deux grandes romanesques et nullement semblables, pas plus que Minna, Brenda, Rose Bradwardine. D'ailleurs, l'intrigue amoureuse chez Scott n'est pas tout le centre et le pivot du roman et c'est le centre, le pivot dans les drames de Dumas. Il faut toujours de l'amour en France, même quand le sujet historique ne le fournit pas du tout. Jusqu'à présent V. Hugo, excepté dans Cromwell, а aussi fait de l'amour le centre et le pivot de ses drames, car sans Donna Sol il n'y a plus d'Hernani"! Il а ajouté: "Vous êtes indispensable au drame de М-r V. Hugo". Je lui ai dit qu'il ne peut plus se priver de me taquiner que Wiasemskoy. En quoi suis je Donna Sol? Je n'ai pourtant jamais soupiré pour un out-law {Un hors la loi.}. C'est une invention de Wiasemskoy dans le bùt de trouver un vers drolatique, de faire un calembour sur Sol et sel en russe et de me dire en vers que je suis aussi Donna Péretz et dois devenir Donna Mëd" {Peretz -- poivre, med -- miel, il y a des vers de W. (en ce que les anglais appellent doggerell rhyme) adressés à ma mère.}.
   Pouschkine а ri de ma riposte et continué: "Des romantiques n'ont pas de humour, leur genre s'у oppose, du reste on nait humoristique; ils peuvent être ironique, satirique, mais le humour est surtout un produit britanique, Shakespeare, Byron, Scott, Sterne ont du humour anglais et écossais, et Scott а créé des personnages ayant ce humour écossais qui est même très particulier, plus sec que celui des anglais. Ce toast du Laird de Balmanhipple est humoristique, Major Dalgetty а du humour -- en un mot Scott et Shakespeare n'ont aucune analogie avec V. Hugo et А. Dumas. Je parie que Modêne les а comparés. Ai-je deviné?" "Oui, et en fait de romans il préfère Paul et Virginie, La Nouvelle Héloïse, Corinne, à W. Scott et les classiques du grand siècle et.Voltaire à Shakespeare, dont du reste il n'а rien lu excepté l'Otello d'А. de Vigny". "C'est ainsi qu'on juge les écrivains, а dit Pouschkine, c'est consolant au fond, car on peut se dire qu'on est critiqué sant être lû. C'est même rassurant". Et il riait de tout son coeur.

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   Pouschkine est venu me voir de très-mauvaise humeur, il а voulu continuer la gazette littéraire pour la pauvre baronne Delvig, la censure а été insupportable et il а dû renoncer; il ne veut pas en parler à L'Empereur, il а tort, mais il dit que ce n'est pas délicat au moment où S. М. а tant dé soucis et de préoccupations, après la guerre. 11 dit qu'il est inutile de se plaindre de Caton, le Censeur, d'appuyer sur des détails, mais qu'il finira par publier une revue un jour. La mort de Delvig l'а beaucoup chagriné, c'est une grande perte pour lui. 11 m'а raconté son entrevue avec le pauvre Kttchelbecher, qu'il а trouvé à une station de poste, lorsqu'on le transférait à Dünabourg et il m'а dit: "un jour propice je demanderai sa grâce à S. М., l'exile à Jakoutsk vaut mieux que cette prison, ce serait déjà une grace, je pense beaucoup à lui". Il а été surpris quand je lui ai dit que j'avais vu Küchelbecker chez за tante М-me Breitkopf à S-te Catherine. Après cela il m'а parlé de Poustchine, de Ryléeff, des Bestoujeff, d'Odoewsky et m'а promis de me donner des vers qu'il а, et qu'O. et R. ont écrit à la forteresse, les prêtre les а donnés à М-me Ryléeff. Le pauvre Arion {Allusion au prême d'Arion, dédié а la mémoire des dékabristes.} était très attristé quoiqu'il ait été sauvé du naufrage; il а fini par me réciter des vers franèais sur Arion:
   
   Jeune Arion bannis la crainte,
   Abordes aux rives de Corinthe;
   Minerve aime ce doux rivage,
   Périandre est digne de toi,
   Et tes yeux у verront un sage
   Assis sur le trône d'un roi!
   
   Il а ajouté: "Ce sage c'est celui qui m'а parlé comme un père parle à son fils, à Moscou en 1826". Qu'il est original, après cela il s'est rasséréné et m'а dit: "Arion а abordé aux rives de Corinthe".

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   Pouschkiné m'а parlé de Pascal en me disant que je suis trop jeune encore pour le lire, mais dans un an ou deux il me conseille de bien étudier Pascal, Les Pensées. 11 disait: "c'est le plus grand penseur qu'ils aient eu en Franèe depuis Abaïlard et leur plus grand génie sous tous les rapports. 11 а tellement pénétré dans l'âme et la pensé humaine, dans ses abimes et ses rapports avec l'invisible. Ainsi il а dit que l'homme n'est qu'un roseau, la plus faible des créatures qu'une picure de Scorpion peut tuer. Mais le Scorpion ne sait pas qu'il tue et l'homme sait ce qui le tue. C'est un roseau, mais un roseau qui pense. Il а dit aussi que toute la morale est dans le bien penser. C'est dire d'un mot que les erreurs de la pensée sont celles de la conscience, car celui qui pense à faux agit à faux, et vit de mensonges. Ne lisez pas Les Provinciales, cette polémique est curieuse, mais seulement comme fait historique et on l'а surfait au dernier siècle et même aprésent par haine des jésuites {J'ai retrouvé cette note dans le carnet où il est question de la révolution Belge et de la guerre des Pologne; entre des extraits d'oraisons funèbres de Bossuet et je la crois donc de 1831. Elle m'а prouvé que Pouschkine s'interèssait aux lectures de ma mère autant que Joukowsky.}.

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   Grandes discussions entre Pletneff et Joukowsky sur le pseudonyme que Gogol veut adopter, Pletneff trouve que Rouday Panka sonne bien. C'est très petit-russien, mais je trouve que Gogol -- Yannowsky l'est tout autant. Joukowsky croit qu'il vaut mieux commencer avec un pseudonyme, puisque l'auteur est jeune, que nos critiques sont détestables pour des débutants et la clique de Boulgarine sera vénineuse; il vaut mieux éviter de décourager un débutant et d'autant plus que Pouschkine а publié ses nouvelles sous le nom de Belkine, Gogol ne peut pas prétendre à faire plus que lui. Gogol est de cet avis. J'ai dit mon opinion: "Si on admire R. P. vous saurez toujours que c'est vous". Je trouve que Pouschkine aurait dû signer ses nouvelles, mais cela l'а amusé de passer pour Belkine. Je lui ai demandé où il а péché ce nom et il dit qu'il y a des Belkine en province, même à Smolensk et à Kalouga où les Gontcharoff ont leur bien. C'était un hommage à la patrie de Nathalie peut-être? Enfin on s'est décidé et pan Rouday Panka va faire son entrée dans les libraires de Pg. Joukowsky qui adore les petits noms, а déjà baptisé Gogol -- Gogolek, à cause de sa petite taille. Je n'ai rien vù de meilleur, d'aussi bon que Joukowsky, il est tout а fait inquiet sur Rouday Panka, sur ce qu'on en dira et l'encourage, Pouschkine le prêche autrement et lui dit: "Tant mieux, si on vous critique, cela prouvera que vous avez de l'avenir, que l'on s'inquiète de voir un nouvel écrivain qui promet. Joukowsky est l'incarnation de la bonté parfaite. Iskra me disait de lui hier: "Il est presque trop bon. Dans toute sa vaste personne il n'y a pas assez de fiel pour tuer une mouche malfaisante". Lui-même est bon comme tous les hommes de génie; il prépare déjà la défense de Gogol et si on l'attaque trop la réponse de Pouschkine sera non seulement salée, mais poivrée, si Boulgarine fera des siennes. J'ai vû Boulgarine, on m'а montré ce trésor, il а une fligure ignoble comme physionomie; celle de Senkowsky, est pédante autant que celle de Grétch est énnuyeuse. Voilà des gens que je ne souhaite jamais connaître. Le trio des ennuyeux et des peu véridiques, allant toujours par des chemins de traverse et les voies détournées. Sie sind phillister auch.

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   Pouschkine а eu des ennuis pour Antchar, enfin on s'est expliqué, mais Caton est insoutenable. L'Empereur а lû le corpus delicti qui l'а beaucoup frappé, au point qu'il m'en а parlé avant souper et m'а dit: "C'était un esclave et nous avons des krépostnyë (serfs), j'ai parfaitement compris ce que Pouschkine veut dire et je comprends aussi de quel arbre il а parlé. En général on demande la liberté pour soi et on la refuse aux autres. Pouschkine n'est pas de ceux-là, je le connais, c'est la droiture en personne et il а parfaitement raison de dire qu'avant tout nous devons rendre au paysan en Russie des droits, за liberté et sa propriété. Je dis nous car, malgré tout mon désir, je ne puis pas le faire sans les propriétaires de ses krépostnyë, mais cela viendra". Il а souri ensuite et а ajouté: "Si je le fesais tout seul on dirait que je suis un despote! Je Vous autorise à redire tout cela à Pouschkine et aussi qu'il m'envoie à moi ce qu'il veut publier. Chargez-vous en, mais qu'on n'en parle pas trop, car je ne puis pas être le seul censeur de tous ceux qui écrivent, je passerais ma vie à lire des manuscrits". L'Empereur était de très.bonne humeur. J'ai été chez les Karamsine où j'ai trouvé Pouschkine, qui est ravi de cette conversation, je lui ai parlé en tête-à-tête dans un coin du salon, pas même devant М-me Karamzine. Il m'а dit des choses qui m'ont surpris: "On me réproche d'être si dévoué à l'Empereur. Je crois que je le connais, je sais qu'il comprend à demi-mots. Je suis toujours frappé de sa perspicacité, de sa générosité et de sa sincérité. Un jour que Caton m'а fait un ennui l'Empereur m'а rencontré au jardin d'été et m'а dit: "Continue à mettre tes idées en vers et en prose, tu n'as pas besoin de dorer la pillule pour moi, mais pour le public. Je ne puis pas permettre à tout le monde de dire ce que tu peux dire, parce que tu as du tact et du goût; j'ai la conviction que tu as de l'estime et de l'affection pour moi et c'est réciproque. Nous nous comprenons, et puis on ne comprend les gens que si on les aime". Pouschkine а ajouté: "J'ai été touché de sa confiance mais si on me calomnie elle peut me manquer un jour". Je l'ai assuré que l'Empereur а dit bien de fois devant moi, que Pouschkine est non seulement un très grand poète, un homme d'un esprit remarquable, mais que S. М. le tient pour un homme loyal, sincère, véridique, et un galant homme. D'ailleurs l'Empereur ne se laisse pas influencer facilement. Pouschkine а soupiré: "Il est le moins défiant des hommes parce qu'il est luimême plein de droiture et c'est le danger justement, il croit à la sincérité des gens qui le trompent souvent. La Russie, à part une petite sosiété, est moins civilisée que son Tzar, même nos souverains ont dû nous civiliser de force, le pays est barbare encore; nous marchons avec des lisières. Un beau jour il faudra bien nous enseigner à marcher seuls, ce sera difficile et cela n'а été facile à personne. En tous cas il est infiniment plus russe que les autres souverains depuis Pierre le Grand, mais il n'est pas encore tout à fait russe à la faèon de Pierre 1-er, je maintiens que celui-là а été archi-russe quoi qu'il ait rasé за barbe et mis un costume hollandais. Khomiakoff а tort de dire qu'il pensait comme un allemand, l'autre jour je lui ai demandé en quoi les idées politiques du Bas Empire moscovite sont plus russes que celles de Pierre le Grand. Khomiakoff fait de la poésie sur notre passé, je' lui ai dit qu'il est romantique"! Joukowsky est arrivé et nous l'avons appelé, pour lui redire ce que l'Empereur m'avait confié pour son Grillon. Enfin Sophie K. nous а demandé: "C'est un complot, ou une confession à trois?" Pouschkine а répondu: "Oui, j'avoue de gros péchés à donna Sol, elle avoue de petits péchés, elle en а plus, si les miens sont plus grands, mais cela rétablit l'égalité et nous avons appelé Joukowsky, qui n'а pas de péchés ni petits ni grands, pour nous donner l'absolution". Il а été très touché de la confiance de l'Empereur et Joukowsky aussi et m'а prié de le bien remercier. Les démêlés avec Caton tourmentent Joukowsky, qui aime son phénix comme un fils; quand je l'ai dit, Pouschkine а répondu: "Unfils prodigue!"

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   [Après le mariage du poète il passa l'été à Tsarskoé et ma mère allait le matin chez les Pouschkine, il lui lisait alors ce qu'il avait écrit en lui disant: "Epluchons ma poésie". Un matin elle le trouva avec un volume de Platon, il lui dit]:..."Pourquoi а-t-il voulu bannir l'art de sa république? C'est illogique, je suis sûr que c'est une interpolation de quelque iconoclaste! (sic). Il а dit que le Beau est la splendeur du vrai, j'ai ajouté à cela que le Beau doit être la splendeur du bien. Je vous ferai voir une note que j'ai d'un néoplatonicien, j'ai oublié son nom, qui а dit: le Beau, le vrai, le symétrique sont l'éxpression de J'Etre absolu. Joukowsky m'а donné cette définition. Mais les platoniciens n'ont pas sû réaliser le Beau qui est le Bien dans des actes; ils ont rêvé à la réalisation. C'est le christianisme seulement qui а réalisé cette union. Le Beau parfait c'est l'Harmonie en un mot et quoi de plus sérein et de plus majestueux que l'Harmonie. Joukowsky а donc raison de dire que le beau horrible est un blasphème"... {Joukowsky avait dit cela à propos de certaines oeûvres des romantiques, il avait le macabre en horreur, le tourmenté en exsécration.} (sic).
   [Il y a encore quelques lignes sur Platon plus loins],..."Platon était un grand penseur, mais ce qu'il а écrit de mieux il l'а pris à Socrate. J'ai relû Aristote dans une vieille traduction franèaise, certainement qu'il а démontré Dieu par le raisonement et avec quelle logique imperturbable. Il est indispensable d'étudier les anciens pour être complètement civilisé, on ne fait pas assez d'etudes classiques chez nous. J'ai relû tout Milton aprèsent, c'est un anglais de la Renaissance, le presbytérien, le grand hélleniste aussi. Mais la république de Platon ne me satisfait pas; même l'Utopia dê Morus est préférable. J'ai relû aussi l'Eloge de la Folie. Erâsme était un des plus curieux personnages de la Réforme; qui se serait attendu à trouver à Rotterdam un amant des mûses grècques! Aprèsent il n'y a que des harengs salés qui nous viennent de Rotterdam" (sic). J'ai répondu: "Vous oubliez les peintres qu'ils avaient en quantité".-- "En éffet, de grands peintres, hollandais et flamands, mais Rembrandt n'est nullement de l'école des héllénistes de l'art et je dirais que l'Eloge de la Folie en littérature est la contre partie de la doctrine artistique des hollandais. Ceci est un fait à étudier un jour. Il faut que j'aille revoir les Rembrandt et les autres hollandais et flamands à l'Ermitage. Erâsme a fini ses jours à Bâle, ville qui doit être fort ennuyeuse; il était l'ami de Holbein, de Morus, de deux Papes, de deux cardinaux et on allait en pèlerinage à Bâle pour le voir à cause de sa haute science. Vous êtez trop jeune pour lire son livre, plus tard il vous intéressera, il y a beaucoup de vérité dans ce livre, surtout de l'ironie très fine, mais je crois qu'il n'а jamais eu le coeur très-large, la vue de l'humanité l'а intéressé comme un spectacle; ceci le distingue de Morus et d'autres écrivains anglais, des humoristes, des satiriques, des ironiques. Cependant Erâsme ne persifle pas plus que Montaigne et Rabelais" {Ces notes sur' tant de sujets possibles semblent prouver qu'à certaines époques par exem. à Tsarsqoé Sélo où ma mère voyait les Pouschkine tous les jours et même deux fois par jour et à Pg. aussi, il avait besoin de causer de ses lectures et ne trouvait pas d'écho chez за femme et ses belles-soeurs. Mon père m'а raconté un fait à Odessa où nous étions en 1867, il pensait beaucoup à Pouschkine sur la côte méridionale et chercha la maison où le poète avait vécu pour me la faire voir, elle éxistait encore en 1843, quand mon père alla au midi et à Odessa, mais on l'avait rebâtie depuis, la ville avait grandi. Mon père me contait donc qu'un soir en automne entendant siffler le vent, Pouschkine avait soupiré et dit: "qu'on serait bien à Mihaïlowekoé, je n'écris jamais aussi bien qu'en automne à la campagne, c'est ma saison préférée, si nous у allions". Mon père ayant un bien dans le gouvernement de Pskoff devait у aller pour chasser et avait proposé à Pouschkine de faire ce petit séjour ensemble. Entendant la réflexion de son mari М-me Pouschkine s'écria: "charmant séjour, on entend le vent siffler, les pendules sonner et les loups hurler. Tu est fou!" Et elle fondit en larmes à la grande surprise de mes parents. Pouschkine la rassura et lui dit qu'il plaisantait seulement et ne succomberait pas à la tentation ni au tentateur, (c'était mon père). Madame Pouschkine bouda quelque temps mon père, lui reprochant de "mettre des idées insensées dans la tête de son mari", ün jour qu'il lisait une poésie que ma mère devait remettre à l'Empereur le même soir, Madame Pouschkine s'écria: "Mon Dieu, Pouschkine, comme tu m'ennuies avec ta poésie". Il fit semblant de ne pas comprendre et lui dit: "Pardon, celle-ci t'est inconnue, je ne l'ai pas encore lue devant toi". Sa réponse fut typique: "Tu m'ennuies en général avec ta poésie celle-ci ou une autre". Uu peu embarrassé le poète dit à ma mère, qui se mordait les levres pour ne pas intervenir: "Comme Nathalie est enfant encore. Elle а la terrible sincérité des petits enfants". Il remit le paquet à ma mère ensuite sans achever la lecture et on parla d'autres choses. On donnait un spectacle au théâtre chinois du parc de Tsarskoé et ma mère annonèa à М-me P. qu'elle у serait invitée ce qui la mit de bonne humeur et elle dit à ma mère: "achêvez la lecture, je vois que mon mari en а envie et moi j'irai voir mes toilettes; vous me rejoindrez ensuite pour me dire celle qui conviendra le mieux pour ce spectacle".}.
   Comme les lectures que Pouschkine me fait ennuient sa femme à mort, pour la mettre de bonne humeur je lui fais faire des promenades en calèche ensuite. Elle est si enfant, si peu développée qu'elle s'amuse quand je lui raconte ce que nous faisions à l'institut, la promenade de carnaval dans les voitures de la cour aux katchéli, les farces de T. et K., mes plaisanteries avec Stephanie quand nous taquinions М-me de Nagel {Vieille dame emigrée, enseignait la musique à S-te Catherine, au lieu de кипятокъ elle disait пекетокъ.} qui ne savait dire en russe au bout de 35 ans, que trois mots: kharacho, tchysty et pékitoke au lieu de kipétoke. Sophie Karamzine lui а raconté que j'avais parû au premier bal costumé de la cour en folie et que personne ne m'avait reconnue d'abord. Pouschkine m'а priée de le lui raconter aussi et même d'inscrire ce détail pour la postérité, parce que j'avais négligé de le faire dans le temps. Je me demande si ces bêtises l'amusent où s'il fait semblant de s'en amuser, parce que Nathalie у prend du plaisir?
   Nota bene -- demander cela à Joukowsky.
   Enfin je vais inscrire ce qu'il y a eu au bal, il y a quatre ans. Personne ne voulait être la folie du carnaval, parcequ'elle devait improviser un discours. L'Impératrice m'а dit alors: "faites cela pour moi, Tchernenka, personne ne saura qui est la folie excépté moi et Joukowsky, qui va écrire des vers burlesques en russe et allemand, vous les réciterez et puis vous finirez en franèais, une improvisation". J'avais consenti à une condition, que je mettrai une perruque blonde qui me déguiserait, alors il me semblerait que ce n'est pas moi. Elle а ri et consenti et son nouveau coiffeur de Paris Aimé а fait une perruque blonde très légère, qui m'а beaucoup changée, même je ne me reconnaissais plus. On m'а habillée chez S. М. qui а fait coudre des diamants snr mon bonnet de folle en drap d'argent et sur le corsage, j'étais en satin blanc et argent, avec des grèlots partout. Je suis entrée la première, ouvrant la procéssion, entourée de fous et de folles bleu et argent, et cérise et argent qui ont fait cercle et moi au milieu devant Leurs Majestés. J'ai recité les vers de Jouk, russes et allemands, mais il а déchiré ensuite l'original de ce chéf-d'oeûvre; enfin j'ai parlé franèais, j'ai dit beaucoup de folies sûr le carnaval, les montagnes de glace, les balacaires, les blinis le carnaval russe que je voyais pour la première Lois en revenant de Paris, où l'on promene le boeuf gras, de Rome et de Venise ou l'on se donne des fleurs et se jette des bonbons; je me suis excitée moi-même et j'ai fini par éclater de rire en regardant les figures ahuries des spectateurs assis derrière L. L. М. М. C'est l'Empereur, le grand duc e.t l'impératrice Maman qui m'ont reconnu d'abord et puis la Gr-de Duchesse Hélène et Modêne qui а crié: "bravo, Rosina amabile!" On а applaudi ensuite et les fous et les folles ont dansé un quadrille. On m'а demandée de rester en perruque blonde, mais j'avais trop chaud et je suis allée chez L'Impératrice où Aimé m'а débarrassé d'elle et m'а remis le chapeau sur mes cheveux. L'Empereur m'а reconnu parce que l'impératrice Maman lui а dit: "c'est ma petite Rosset, elle а un accent si franèais". Les autres ont dit la même chose du reste; on m'а demandée qui а écrit les vers? J'ai nommée l'auteur et le franèais était improvisé par moi, а cela l'Empereur а dit: "Je n'ai,pas compris grand chose, vous parliez si vite". J'ai riposté: "Pas plus que moi, sire, je débitais des mots sans suite et il me semblait, grace à cette perruque, que ce n'était pas moi. Sans perruque cela m'aurait été impossible".
   Ceci а frappé Pouschkine et il m'а questionnée là dessûs, m'а dit que 'c'est bien possible que les acteurs aient ce sentiment quand ils sont en costume, ils deviennent un autre personnage alors. Nathalie а voulu savoir quels costumes il у avait et en détail, surtout les beautés; la princesse Youssoupoff était très belle en nuit, la p-sse Annette Tcherbatoff en belle de nuit, Lubinka Yartzeff en aurore, Sophie Ourpussoff en étoile du matin, Alexandrine Euler en soir; il у avait les quatres saisons, un quadrille d'Ondinés, des Sylphides, des Salamandres et des Gnomes, les quatres éléments. J'ai dû décrire en détail le costume de la nuit, ses diamants, son croissant et ses étoiles, et la belle de nuit en blanc, avec des lys argentés et des gouttes de rosée sur le tulle, l'aurore en rose couverte de feuilles de roses, le soir en bleu lamé d'argent et Sophie' Ouroussoff en blanc, une étoile en diamants au front et les cheveux bouclés, les deux blondes. Pouschkine est si bon, il me' remercie chaque fois que j'amuse Nathalie. Il est bien regrettable qu'elle ait eu si peu d'éducation; de toutes ses poésies elle n'apprécie que les vers faits pour elle; mais il lui а lû. les nouvelles de Belkine et elle n'а pas baillé. А présent Pouschkine lui fait lire Walter Scott en franèais, comme elle ne sait pas l'anglais. Il lui disait que Scott est historien, parce qu'il décrit les idées des personnages du temps, et n'invente pas des faits historiques, seulement la part que prennent ses personnages aux événements et même Magennis lui à dit que la partie romanesque est basée sur des faits vrais, et qu'il y a des aventures incroyables dans l'éxistence privée des anglais, chez les pairs et dans le gentry, que les documents de famille ont conservés. Nathalie est si naive qu'elle а été enchantée ayant lu un drame d'А. Dumas, elle m'а conseillée de le lire parcequ'il est si intéressant, bien plus que Corneille -- Pouschkine lui avait lu le Cid.

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   Il pleuvait, je n'ai pas pu promener les Pouschkine après la lecture et Grillon m'а fait voir tous ses projets dramatiques, il beaucoup travaillé à Boldino, quand il у était retenu pendant le choléra, Nathalie {Ils étaient fiancées alors.} était à Moscou avec sa mère, lui très inquiet, quatre fois il а voulu les réjoindre et les 40-nes étaient si bien faites qu'il а dû rentrer à Boldino. Il m'а lû le Banquet pendant la peste, il y a une scène très drâmatique, la chanson de Mary est touchante, et m'а beaucoup plû. Le monologue de l'Avare est un chef-d'oêuvre original, c'est un avare philosophe et tragique, grandiose même. Il m'а relû Mozart et Salieri, il а fait le plaii de ce drame tout entier, et puis l'а abandonné pour le Don-Juan, Fiquelmont lui а conseillé de lire le Don-Juan Espagnol. Ce qui m'а surtout enchanté outre Mozart et l'Avare, c'est la Roussalka, ce seraun drâme très russe, la scène du père fou est très belle, c'est vraiment populaire. Pouschkine m'а raconté que la Tzarêvna Sofia а écrit un livtét d'opèra, les Roussalky. Il а vu un portrait d'elle fait en Hollande avec une inscription: "Autocrütrice de Russiel" Pouschkine en riait, disant: "quelle samozwanka (prétendante), elle me préoccupe autant que Marina Mnischék: les deux ambitieuses, de moeurs légères, la russe et la polonaise, deux types". Joukowsky m'а offert son Tzar Bérendei et Pouschkine son Tzar Soultan, très réussis et il m'а lû les contes en prose, que son Arina (за bonne) lui racontait, et les а mis en vers délicieux, si russes, le petit poisson doré surtout est irréprochable. Sa Natacha me plait moins, mais c'est national il tient cette histoire d'Arina aussi. Puis il m'а lû la confession de Nalywaïko, de Ryléeff pour flatter mon patriotisme Petit-russien, mais les vers sont durs à mon avis et je doute que ce soit historique, Pouschkine les admire, par amitié pour R. je crois? Hier il m'а offert les nouvelles de Bellkine, quelle idée de ne pas les signer, pourquoi ce mystère! Je suis emerveillée de sa prose, enchantée et même râvie du style. L'Imperatrice m'ayant demandé le soir ce que j'avaisfait dans la journée, j'ai parlé des nouvelles de Bellkine, quand S. М. est venu pour le thé. Elle lui а dit: "Pouschkine а écrit des nouvelles en prose". L'Empereur me les а demandées, disant: "Il faut que je lise aussi la prose de mon poète". Pouschkine m'а recité des complaintes sur Stenka Razine que son Arina lui contait et deux autres qu'il а entendues à Ekatérinoslaw dans за verte jeunesse. Il me disait que les oudalletz (bravis) du Volga, ceux de la wolnitza, abordent les barques en criant: "jetez-vous par terre". Ils ne tuent que ceux qui résistent, pillent les marschandises, coupent les voiles, enlèvent les rames et repartent. Iscra а ajouté: "c'est le vogue la galère slave", et Smirnoff, qui а tant vécu en Italie m'а conté que les brigands italiens crient aussi: "faccia а terra", lorsqu'ils arrêtent les voyageurs. Il а une complainte de Sténka en prison, il parait qu'il passait pour sorcier et son charme principal était de dessiner un bâteau à voilés sur le mur de la prison, et il s'envolait sur ce bâteau mâgique! La complainte la plus originale est celle où il noie sa princesse tartare et l'offre en holocauste à la mère Volga! Il y a une complainte sur le fils de ce brigand, Pouschkine va mettre tout cela en vers, Razine l'intéresse beaucoup en ce moment, il s'est enjoué pour cet oudalletz!" (bravo).

(А suivre).

   P. S. (отъ редакціи). Въ публикуемой нами на этотъ разъ части записокъ А. О. Смирновой встрѣчается мѣсто, которое даетъ намъ основаніе вернуться къ тѣмъ нападкамъ на этотъ историческій документъ, которыя были сдѣланы въ іюлѣ мѣсяцѣ "Новымъ Временемъ" и легкомысленно, безъ всякой провѣрки, подхвачены нѣкоторыми другими изданіями. Какъ уже указано было въ письмѣ г-жи О. Смирновой въ августовскомъ No "Сѣвернаго Вѣстника", "Новое Время", воспользовавшись ничтожной опечаткой, придало совершенно ложный смыслъ словамъ Пушкина о герояхъ произведеній Дюма. Видя, что рѣчь, идетъ о какихъ-то мушкетерахъ, газета поспѣшила догадаться, что Пушкинъ разсуждаетъ о знаменитыхъ "Трехъ Мушкетерахъ" Дюма, появившихся только послѣ его смерти. Догадка эта была окончательно опровергнута простымъ, яснымъ и твердымъ объясненіемъ г-жи О. Смирновой, что Пушкинъ говорилъ не о "Трехъ Мушкетерахъ", а объ общемъ типѣ драмъ Дюма, въ которыхъ мушкетеры играютъ такую характерную для этого писателя роль. Этому объясненію г-жи О. Смирновой слѣдовало отдать полную справедливость и тѣмъ покончить вопросъ о совершенно ничтожной опечаткѣ, заключавшейся въ нѣсколькихъ словахъ (ses romans, вмѣсто c'est die roman). Но газета, уличеннаявъ легкомысленномъ отношеніи къ серьезному историческому документу, не пожелала признать несостоятельность своей придирки и, дѣлая многочисленныя литературныя ошибки и забавныя опечатки, продолжала настаивать на томъ, что до появленія "Трехъ Мушкетеровъ" въ произведеніяхъ Дюма никакихъ мушкетеровъ не было! Однако, читалъ-ли хроникеръ "Новаго Времени" драмы Дюма? Знаетъ-ли онъ, что такое мушкетеры? Или можетъ быть "Новое Время" думаетъ, что "Мушкетеръ" есть какое-то собственное имя, а не нарицательное названіе, относящееся къ гвардіи французскаго короля и кардинала, прославившейся тѣми именно качествами, о которыхъ говоритъ Пушкинъ -- какъ въ іюльской бесѣдѣ, такъ и въ бесѣдѣ, напечатанной въ нынѣшней книгѣ "Сѣвернаго Вѣстника". Пушкинъ могъ знать только драматическія произведенія Дюма и ихъ-то совершенно основательно онъ сравниваетъ съ произведеніями В. Скотта. Ясно-ли хоть теперь "Новому Времени", въ чемъ заключается его ошибка?
   Какъ и слѣдовало ожидать, безсодержательная придирка "Нов. Времени" была подхвачена нѣкоторыми органами печати. Судить, вникать, разбираться въ сложныхъ по своему содержанію литературныхъ документахъ -- трудно. и не всѣмъ доступно, а голословно повторять чужую выдумку, звонить о несуществующихъ ошибкахъ -- съ претензіею явиться въ роли ревнивыхъ оберегателей отечественной литературы -- и легко, и выгодно, и импозантно. Вотъ какъ, напримѣръ, поступила "Недѣля". Обозрѣватель русскихъ изданій немедленно воспользовался придиркой "Нов. Времени" и разразился слѣдующей филиппикой противъ "Записокъ":
   "...Не правда ли, какой драгоцѣнный документъ? Но вдругъ "Новое Время" открыло ехидное обстоятельство. Пушкинъ въ бесѣдѣ, происходившей въ 1834--36 гг., какъ можно судить по запискамъ,-- высказываетъ весьма обстоятельное мнѣніе объ А. Дюма вообще, и въ частности о его "Трехъ мушкетерахъ". Какова-же должна быть его дальновидность, если литературная дѣятельность Дюма началась въ 1835 году, а. "Три мушкетера" появились въ 1844 г., т. е. спустя почти 8 лѣтъ послѣ смерти нашего поэта! Остается предположить, что г-жа Смирнова была плохою стенографисткою, и нѣтъ сомнѣнія, что стенографіи она обучалась въ той-же школѣ, что и покойная Панаева-Головачева. Только ошибки г-жи Смирновой еще грубѣе и безцеремоннѣе. Печально встрѣчать въ нашей литературѣ такіе документы!"
   Это очень любопытныя слова. Изъ нихъ любопытна, во-1-хъ, самоувѣренность невѣжества, выступающаго съ категорическими сужденіями о предметахъ, совершенно ему неизвѣстныхъ. Кто сказалъ "Недѣлѣ", что Дюма началъ свою литературную дѣятельность въ 1835 г.? Въ началѣ 1829 г. Дюма, какъ это извѣстно всѣмъ, занимающимся исторіей литературы, уже одержалъ блестящую побѣду, какъ представитель новой школы, при постановкѣ на сценѣ своего "Henri III et sa cour" въ присутствіи герцога Орлеанскаго и его двора, а "Недѣля" ведетъ хронологію литературной дѣятельности Дюма только съ 1835 года. Bo-2-хъ, любопытна и назидательна эта развязность журнала по отношенію къ А. О. Смирновой. Ничего не провѣривъ, не зная предмета, онъ приравниваетъ ея крайне важныя записи, сдѣланныя подъ непосредственнымъ впечатлѣніемъ, читанныя самимъ Пушкинымъ (чему имѣются неопровержимыя доказательства), къ воспоминаніямъ г-жи Панаевой-Головачовой. Знаетъ-ли "Недѣля" что такое добросовѣстность въ критическихъ оцѣнкахъ?

"Сѣверный Вѣстникъ", No 9, 1893

   

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